"Les hirondelles de Kaboul" de l'algérien Yasmina Khadra

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  • Le samedi, 21 mai 2016
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Hirondelles kaboul plumencre

       Lire Les hirondelles de Kaboul

Beaucoup diraient que la littérature ne devrait avoir aucune empreinte sociale, et pourtant, bon nombres balaieraient cela d’un revers de main et soutiendraient que la littérature est la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche comme pour emprunter à l’expression d’Aimé Césaire. A chacun donc son point de vue! Tout compte fait, l’œuvre qui retient notre attention est l’exemple parfait d’une littérature axée sur du fait social.

Les hirondelles de Kaboul, publié en 2002 aux Editions Julliard à Paris, est un roman écrit par Yasmina Khadra. De son vrai nom Mouhammed Moulessehoul, Yasmina Khadra est un algérien né en 1955. Traduit en plus de 22 langues et auteur de plusieurs œuvres dont L’Attentat, qui a reçu Le Prix des librairies 2006, Le Prix des Tropiques 2006 ainsi que le Grand Prix des lectrices Coté-Femme, Khadra est certainement, de par son talent artistique, l’un des miroirs du monde arabe d’expression francophone tant ses œuvres n’ont pour tout contexte que son Maghreb natal et l’Orient dont il fait preuve d’une profonde connaissance. Bienvenue à Kaboul, la capitale afghane, la cité millénaire, la ville perdue, la ville de toutes les  inhumanités, la cité qui se meurt.

Deux femmes au pas de course, recouvertes des cheveux aux pieds et arpentant les décombres devant un bâtiment en ruines digne des constructions antiques, telle est l’image meublant la première de couverture de cette œuvre. L’on penserait donc sans hésiter que Khadra nous ferait ici la peinture des habitants de Kaboul habités par la peur de l’ombre de la mort qui plane au-dessus de leurs têtes. L’œuvre qui s’étend sur 148 pages et divisée en 15 parties nous promettrait donc du sang et des tragédies tout au long de la péripétie.

« Les terres afghanes ne sont que des champs de bataille, arènes et cimetières… Puis, sans préavis, au pied des montagnes rageusement épilées par le souffle des fournaises, surgit Kaboul…ou bien ce qu’il en reste : une ville en état de décomposition avancée » P. 7. Cette description de Kaboul faite à la première page du texte est sans appel. Elle nous présente une ville où il ne fait pas bon vivre. La suite est encore plus effroyable, car au fil des pages, le lecteur se rend bien compte que la cité afghane est le tarmac où s’échouent toute sorte d’actes inhumains: Egorgements, lapidations, exécution, brimades, suspicions... Toutes ces dérives ignobles sont si courantes ici et jouent une fonction ludique dans cette société qui n’accorde aucun cadeau à quiconque oserait franchir d’un pouce la ligne rouge des interdits et autres comportements en désaccord avec les idées arrêtées.  Le cycle de ces actes ne semble pas un jour faire une entrée en gare si l’on se réfère aux multiples prêches à l’instar de celle du Mollah Bashir (Pages 92-97) qui incite ses ouailles à se rebeller et à profaner sans relâche le modèle occidental, en total désaccord avec les valeurs islamiques. Les conséquences de cet état de choses sont aussi perceptibles par les « agirs » d’enfants qui, à longueur de journées, armés d’épée en bois et de cailloux, reproduisent les lapidations et autres exécutions sur des pauvres animaux, des mendiants et des fous, sous le regard encourageant des ainés contents de savoir que la relève est assurée !

Kaboul ! Kaboul ! Kaboul ! ville liberticide...

Kaboul  est une ville sans cœur. Ici « on ne rit pas dans la rue, car, s’il vous reste un peu de pudeur, rentrez chez-vous et enfermez-vous à double tour » P. 70. Les plus exposés à la discrimination sont malheureusement les femmes, qui sont soumises à des restrictions ultra rigoureuses et inhumaines. L’exemple de Zunaira, plus belle que le ciel et épouse de Mohsen, illustre l’état de la femme afghane : « Avec ce maudit voile, s’insurge-t-elle auprès de son mari, je ne suis ni un être humain, ni une bête, juste un affront ou un opprobre que l’on doit cacher telle une infirmité. C’est trop dur à assumer… Ne me demande pas de renoncer à mon prénom, à mes traits, à la couleur de mes yeux et à la forme de mes lèvres… ; ne me demande pas d’être moins qu’une ombre, un froufrou anonyme lâché dans une galerie hostile » P. 62. Le port du tchadri est donc ici perçu comme l’expression de la chosification et de la totale dévaluation de la femme.

Yasmina khadra plumencre

Atiq Shaukat et Mohsen Ramat sont les deux personnages autour desquels s’articule la péripétie déroulée par Khadra dans ce roman. Psychologiquement, les deux sont en proie à une instabilité déconcertante. Le premier est un ancien combattant aujourd’hui garde-chiourme et le second est un ancien commerçant qui a tout perdu lors des bombardements. Pour ce qui est de la famille, ni l’un ni l’autre ne dispose encore de parentés en vie. Dans le flot de la narration qui se veut aussi tragique que Kaboul, les deux trouveront tour à tour la mort. Mohsen, accidentellement tombé à la renverse suite à une poussette de sa femme Zunaira, est le premier à rejoindre les siens. Atiq, quant à lui va sombrer petit à petit dans la folie, obnubilé par le coup de foudre à l’endroit de Zunaira condamnée à mort pour homicide et enfermée dans la cellule gardée par lui. Sa femme, Mussarat,  par amour pour lui, va le convaincre de mourir à la place de Zunaira afin qu’il trouve le bonheur auprès de Zunaira (Pages 132-134). La fuite de Zunaira après l’exécution de Mussarat va dévaster la pauvre Atiq qui va se mettre à héler son nom dans toutes les rues de Kaboul et à courir après tous les tchadris espérant qu’en dessous de l’un d’entre eux, il verrait de nouveau ce visage dont l’adjectif « belle » ne suffirait à traduire la beauté (Pages 111-116). Par cet acte contraire aux normes et comportements régissant à Kaboul, il signe son arrêt de mort, mort qui le trouvera sous le poids des pierres s’écrasant sur son corps dans un coin de rue de Kaboul.

Romancier confirmé, Khadra séduit le lecteur beaucoup plus par la qualité de sa langue pleine d’images, de métaphores, d’hyperboles et bien d’autres figures de style. Sa plume ressort à chaque bout de la ligne un vocabulaire pas commun et très souvent propre à la littérature. C’est dire donc que Les hirondelles de Kaboul est un roman qui se lit avec au moins un dictionnaire à côté.

L’écriture de Yasmina Khadra est fortement ancrée dans la culture arabe. A cet effet, dans une perspective positiviste, l’on dirait que la plume de cet auteur n’accouche que le produit de son vécu dans cette société musulmane ; de ce qu’il a appris tout au long de son parcours et de ce qu’il a hérité de ce milieu. Les hirondelles de Kaboul se dresse à nous comme le miroir des cauchemars qui tiennent en otage le Moyen-Orient tant matériellement que spirituellement. En peu de mots, c’est l’expression d’Un cri déchirant au cœur de la nuit de l’obscurantisme[1]. Son écriture parvient à rallier la fonction sociale et la fonction esthétique en même temps et dévoile la nudité du Moyen-Orient dans une langue belle et maitrisée de fond en comble.

Le style narratif de Khadra est impressionnant sur toute la longueur. Son style est décousu et plein d’indépendance. Ce serait donc mentir si l’on ne dit pas que Khadra fait montre de la maturité de sa plume. Il réussit à produire un récit cohérent avec des ruptures narratives sur des histoires qui semblent au début ne rien avoir en commun, mais qui, au fil des pages, convergent comme un entonnoir vers la tragédie de ces hommes et femmes qui ont commis le péché d’être des habitants de Kaboul.

Yasmina Khadra est, ma foi, un auteur à lire et à relire pour quiconque voudrait se lancer dans le roman. De par son style, il a tellement à nous apprendre. De par sa maitrise de la langue, il permet à tout lecteur de gonfler son panier d’expressions en enrichissant le vocabulaire.

L’œuvre qui s’ouvre sur la lapidation d’une prostituée et se referme sur celle d’Atiq ne saurait laisser indifférent sur la banalité de la vie qui se vit aujourd’hui à travers le monde.

 

Par Landry Ngassa - En partenariat avec Le Magazine littéraire CLIJEC, le Mag'

 


[1] Propos d’Alexandra Lemasson, critique de Le Magazine littéraire.  Cf. quatrième de couverture

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Commentaires

  • Youssouf
    • 1. Youssouf Le samedi, 30 juillet 2016
    Bel article...J'aime beaucoup la plume de Khadra
  • Eddy
    • 2. Eddy Le dimanche, 26 juin 2016
    Merci mon frère, tu es très cool
  • Ulrich Talla Wamba
    Ne vous en faites pas...J'ai conçu cet espace depuis bientôt deux ans pour donner une autre possibilité d'expression de la littérature africaine (malgré mon emploi de temps délicat). Je suis d'ailleurs heureux qu'il vous intéresse et vous aide qu quotidien dans vos actions.

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    Cordialy !

    @talla_poesie
  • Samanta Audrey
    • 4. Samanta Audrey Le mercredi, 15 juin 2016
    OK. Mais, nous souhaitons que çà ne soit pas payant, mon frère ?
  • Ulrich Talla Wamba
    Bonjour très cher Félix.

    Nous ne recevons pas les articles pour l'instant. C'est sera à nouveau possible, seulement en début Juillet. Où, un règlement sur comment publier sera rendu public. Les articles publiés pour l'instant, sont ceux qui sont parvenus dans notre base de données, bien plutôt.

    Mercipour l'intérêt.

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    @talla_poesie
  • Félix Etame
    • 6. Félix Etame Le samedi, 11 juin 2016
    Bonjour M Ulrich Talla, excusez-moi, j'aimerai savoir comment faire pour publier mon article ici par exemple, merci ?

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