plumencre:: "Si Nobel était Africain ou comment célébrer Ngugi Wa Thiong’o et les autres" - chronique de Raoul Djimeli

Ngugi plumencre

Cette chronique est fournie en partenariat avec "CLIJEC, le Mag'" - Magazine des littératures africaines

Mon fils, écoute bien la parole des anciens : les choses ont changé. Les choses de notre siècle-ci ont tellement étonné le village, et si tu ne peux pas ouvrir les yeux, c’est peut-être sur toi que se fermera un de ces drames séculaires, je te le dis. Notre siècle a vu tant de choses : le pape qui renie la messe, la transition du millénaire, le noirs qui tiennent le monde et certains qu’on abat comme des chiens errants, les libertés qu’on regrette et les femmes qui ne changent pas, ah ! Mon fils, notre siècle a vu mourir Mandela, ton arrière grand-père aussi, le seul qui avait attrapé la panthère vivante, et avait mis la corde au cou du gibier pour le trainer jusqu’à cette chefferie : mais personne ne parle de lui ici au village. Ils écoutent la musique à longueur de journée et dorment sans se laver. Ah ! Je te parle de ton arrière grand-père dont aucun homme dans ce village n’a fait mention, lorsque Norbert récompensait les chasseurs. Il a pourtant changé la face de la chasse dans cette partie du  village planétaire, en disant que si nous vivions dans ce village planétaire-là, il fallait au moins avoir notre petite communauté à nous, où les gens viendrait chercher ce que nous n’allons pas nous-mêmes exposer au marché planétaire : nos gris-gris par exemple, ou les petites  recettes pour créer l’entente parmi les femmes d’un homme. Ton grand-père disait que le monde n’était pas son langage, et que ceux qui voulaient l’entendre, devaient venir ici, dans notre petit village de rien du tout, l’écouter, et s’ils voulaient ; ils partaient parler de lui dans le reste du village planétaire.

Cette année, Norbert, le chef du village planétaire des chasseurs — ééh, mon fils ! La chasse est un métier ingrat : Tu dors en forêt pendant des mois pour capturer le gibier que le reste du village planétaire va manger alors que personne ne sais que tu es chasseur dans ta petite communauté de rien du tout et parfois même dans ta famille — je disais que Norbert a convoqué les chasseurs pour les narguer. Il a donné la récompense planétaire-là à un musicien, en défendant que de nos jours tous les chasseurs poursuivent leurs gibiers  avec les casques baladeurs aux oreilles. Est-ce que c’est vrai, mon enfant ? Je te disais que le monde a changé, regarde. La musique c’est même ce que nous les chasseurs refusons. Elle fait le bruit, éloigne le gibier, et pendant que les gens écoutent la musique, ils oublient d’aller chasser ; et notre monde est un monde de musique, de bruits, alors que nous invitions le peuple à la chasse, à la réflexion profonde au calme.  Est-ce que tu savais ça, mon fils ? Ecoute toujours la parole des anciens : ne pars jamais faire la fête dans le village planétaire-ci, sans avoir organisé ta part de fête dans ton petit village de rien du tout. Quand tu as fait ta fête ici dans ton village, si Norbert appelle les chasseurs pour écouter la musique, tu ne pourras qu’en rire jusqu’à te briser les côtes, comme moi. Regarde, je ne marche plus. Je suis fatigué, et c’est maintenant que je comprends qu’il faut apprendre à regarder sa case, sinon, un jour, elle tombe et nous laisse sans voix, pendant qu’on regarde le village planétaire.  

Mon fils, je te dis. Il y a les choses ici dehors, ils y a les choses ! Les gens regardent là où regarde le peuple, écoutent ce que disent les chansons populaires et ne peuvent voir que ce que le village planétaire montre. Il y a une femme qui a fait la fierté des chasseurs ces jours-ci. Elle vient même de notre village de rien du tout : avec un seul gibier elle a eu plus d’argent que tous les biens de Norbert réunis  (y compris la chefferie  que le gars vend un peu un peu, comme si c’était son terrain !) Je disais qu’on connaît cette femme-là bien plus que le musicien de Norbert. D’ailleurs, de quelle musique parlent-ils ? Hein ? Qui a chanté sur terre plus qu’Eboa Lottin ? Hein ! Qui donc? Sa musique nous faisait boire le vin de raphia toute la nuit sans se fatiguer!

Moi, je te dis, mon fils. Tu ne peux pas aller aux funérailles des gens tous les jours sans inviter les gens à venir manger chez toi.

Raoul Djimeli

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