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plumencre :: Les belles ambigüités d’Anne Cillon Perri par Jean-Claude Awono

Le celebre poete camerounais anne cillon perri oku plumencre

Jean-Claude Awono parle du poète Anne Cillon Perri

Je ne pense pas qu’Anne Cillon Perri, dans la nomenklature littéraire qui l’a vu naître et grandir, puisse être lu autre qu’un poète ambigüe. J’entends par là un poète qui offre au moins deux visages, dont l’un semble l’opposé de l’autre, de manière quasi radicale et cinglante. Pour ce qui concerne ce poète qui nous vient des « buissons » (il aime bien ce mot) du Sud Cameroun, terre génitrice de quelques flamboyances littéraires nationales à l’instar de Engelbert Mveng, Mongo Béti, Guillaume Oyono Mbia, Antoine François Assoumou, cette ambiguïté n’est pas qu’un motif esthétique, un caprice de l’art, mais un trait majeur de son ancrage existentiel et métaphysique.

Jean claude awono image plumencreDans un premier temps, Anne Cillon Perri est le poète à la fois ouvert et fermé. Au début de sa carrière poétique publique qui a longtemps souffert d’anonymat et de silence dus aux « fermetures » de l’édition, c’est un poète qui a brillé par sa prodigalité verbale et physique. Il était là, présent, au cœur du vaste mouvement qui animait la poésie camerounaise de l’intérieur et lui donnait sens. C’était le compagnon quasi attiré des hommes de scène et de théâtre tels Emmanuel Keki Manyo, Alex David Longang et bien d’autres. La poésie de la génération qui est la sienne n’avait pas encore pris l’envergure éditoriale qu’elle connait aujourd’hui. Editer de la poésie, c’était quasiment un héroïque et magique, et cet héroïsme conférait aux auteurs une sublimité quasi divine. Les témoins de cette époque qu’on pourrait qualifier de la grande ère orale de la poésie écrite camerounaise des générations 90 n’ont pas perdu de vue l’image d’un « Pico » pseudonyme du poète, debout, dense vitupérant à même les figures et le néant, des textes de lui et de quelques autres poètes de race tels que Engelbert Mveng, Emmanuel Mayo, René Philombe, au cœur d’un vécu oral intense des textes poétiques celui des cafés de poésie multipliés par « La Ronde des Poètes », a fait beaucoup de bien à la poésie camerounaise, d’abord une parole professée, prononcée, criée, murmurée, chahutée, un acte qui se partage sur les scènes du quotidien.

Dans un second temps, il y a eu l’irruption du silence, de la rétraction colorée d’une certaine méfiance vis-à-vis de ce même milieu poétique qu’il avait contribué au plus haut point à créer. Cette période de rétraction correspond à la rencontre d’Anne Cillon Perri avec Fernando d’Almeida, le grand poète de l’estuaire, l’initié fondamental. À cheval entre Douala (sa terre d’origine) et Yaoundé (où il assumait des responsabilités journalistiques au Ministère), d’Almeida fit la rencontre de Pico par le biais d’un petit journal de liaison poétique que la Ronde des Poètes publiait au début des années 2000. D’Almeida à qui j’avais remis une copie du journal s’extasia devant un article signé par Anne Cillon Perri. Quelques temps après, à la demande de d’Almeida, j’organisai la rencontre entre les deux poètes dans un hôtel de Yaoundé. Il y eut alors une révolution en notre « poète-parole », qui devint vite séparable de d’Almeida, les deux partageant à l’époque une « densité physique » et d’autres raisons qui contribuent sans doute à les rapprocher davantage. De ce « mariage » poétique devait naître ce que l’on sait, à savoir l’invention des poètes « sémantiques » (ceux de Yaoundé enfermés dans le message) d’une part, et des « intentionnistes » (ceux de Douala, plus portés sur la dimension formelle de l’écriture). Cette dichotomie au sein du corps poétique national n’eût sans doute pas le retentissement qu’il méritait, du fait du peu de vigilance critique qui caractérise notre soi-disant intelligentsia. Les conséquences de cet acte de séparation publique à Yaoundé. Il commença, ce qu’on ne lui connaissait pas jusque là, à décliner les rencontres poétiques, à briller par son absence et quand il finissait par être puissant par être présent, à servir le public par des silences éloquents et tonitruants ou par des interventions d’un laconique outrageant.

À cet autre versant de la vie poétique de notre poète, il faut sans doute ajouter l’âge qui avance, les contraintes d’une vie professionnelle exigeante, un état de santé souvent préoccupant, mais surtout son ouverture au cybermonde. Avec la création de son site internet, Perri s’est installé lourdement dans le cyber espace, si nouveau et si peu fréquenté par les poètes camerounais. Il manquait là une évolution dans la manifestation de l’être poétique très peu couru chez nous, devançant un peu tout le monde, et donc caracolant vers une existence qui l’isolait davantage du « troupeau » poétique dont il n’était pas loin d’être le pâtre.

L’autre ambigüité tient sans doute de son idéologie. Eloignée des débats internes au Cameroun, elle est partagée entre une tension altermondialiste et en même temps une fascination en France. Si le combat altermondialiste qui est devenu l’étalon de son engagement poétique est récent, son éloge de la France est plus ancienne, inscrite, pourrait-on dire, sur les racines même de sa pensée littéraire et de son ontologie. Il n’a jamais été autant en accord avec lui-même que lorsqu’il déclare qu’il est « un bienheureux aliéné », affirmant là, par la magie de l’oxymoron, la dualité de son être profond qu’il a réussi à uniformiser de façon admirable. Cet autre côté du grand-poète camerounais dont l’œuvre publiée a été rassemblée en un volume par un éditeur français, signale la complexité inhérente à la carrière d’un poète, qui a ses côtés mystérieux, c’est-à-dire qu’on ne finit jamais de comprendre, mais qui peuvent être abolis par la qualité des textes, tels que ceux de ce poète de race qui nous fait souvent oublier ce qu’il dit au profit de la façon dont il le dit.

Pour ce qui me concerne, s’il est un poète camerounais qui a toujours suscité en moi de la lumière et l’envie de créer infiniment, de ne pas laisser tomber les rames, c’est bien Anne Cillon Perri. « L’assoumière », nom de sa belle résidence à Yaoundé, qui tient son nom du grand météore de la poésie camerounaise contemporaine avec laquelle la des liens intimes et puissants. C’est un poète très cultivé, amoureux de la connaissance et d’un savoir qu’il n’hésite pas à partager lorsqu’il en a le désir. Je me le suis toujours représenté comme un esthète, ou un artisan qui passe sa vie, dans un atelier sublime, à ciseler les mots, à leur donner une vocation et une beauté inépuisables et inimitables. Et ses ambigüités, ne sont-elles pas finalement des lignes de force sans lesquels il ne serait rien devenu dans la « jungle » poétique camerounaise ?

 

Jean-Claude Awono, in Magazine littéraire « CLIJEC, le Mag’ »

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